On entend souvent parler de la portée d’une enceinte, notamment dans le grave, avec le terme « subwoofer longue portée » par exemple.
Le terme portée, ou projection, se réfère à la distance à laquelle le son peut aller, tout en restant « suffisamment » fort, jusqu’où l’enceinte s’entendra. Parler d’enceinte longue portée laisse donc supposer que certaines enceintes ont la capacité de projeter le son plus loin que d’autres. Qu’en est il réellement ?
Pour comprendre, il faut faire un détour par quelques principes d’acoustique, notamment les différentes sources et les notions de champs proche et lointain.
Source simple
Un point source, qui est le modèle de source acoustique le plus simple, génère une onde omnidirectionnelle (c’est à dire que l’onde se propage de la même façon dans toutes les directions, et donc que le niveau sonore est le même partout autour de la source), dont l’intensité à une distance r vaut I = P/ (4πr²), où P est la puissance acoustique émise par la source. On remarque le terme 1/4πr² ; qui signifie qu’à chaque fois que la distance est doublée, la surface de la sphère qui représente le front d’onde est multipliée par quatre. En terme de niveau sonore, cela veut dire qu’on observe une décroissance de 6 dB à chaque doublement de la distance ; c’est ce qu’on appelle la décroissance géométrique - par opposition aux mécanismes d’absorption qui interviennent lors de la propagation : processus adiabatiques imparfaits, friction…, dans lesquels l’énergie acoustique est transformée en chaleur.

Champs proche/lointain
Cette loi de décroissance s’applique à toutes les sources pourvu qu’on se place dans le champ lointain de l’enceinte, là où pression et vitesse de l’onde sont en phase. Dans le champ proche, les choses sont un peu plus compliquées. La distance limite entre champ proche et champ lointain dépend de la fréquence et de la taille de la source : plus la source est grande (pour une fréquence donnée), plus la limite champ proche/champ lointain est éloignée de la source.
Directivité d’une source
Une enceinte de grave (subwoofer) peut être assimilée à un point source, du fait du rapport entre sa taille et la longueur d’onde des ondes générées. Elle est donc omnidirectionnelle.
Au contraire, un haut-parleur d’aigu (tweeter) a tendance à rayonner du son uniquement dans un cône, avec peu d’énergie hors de ce cône. La raison en est également le rapport entre les longueurs faibles des fréquences aiguës par rapport à la taille du haut-parleur.
Il est également possible, par exemple à l’aide de pavillons, de modifier la directivité d’un haut-parleur afin d’envoyer l’énergie uniquement dans la zone qui nous intéresse ; ce qui a pour effet de modifier le niveau sonore entre l’axe de l’enceinte et les côtés ou l’arrière.
Cependant, cela ne change rien à la règle de la décroissance géométrique, une fois dans le champ lointain, le niveau sonore continuera de décroître de 6 dB par doublement de distance ; quelle que soit la directivité de l’enceinte, omni comme un sub ou très directive, et quelle que soit sa charge, directe ou pavillonnaire.
Pour s’en convaincre, il suffit de mesurer des enceintes de différents types et de tracer la courbe de décroissance.

Contre exemple : le line-array
Les enceintes dites line-array ont pour particularité d’être des sources qui génèrent des ondes qui décroissent de 3 dB par doublement de distance, dans leur champ proche. Via le respect de quelques règles de conception et de mise en œuvre – dites loi de la WST, pour Wavefront Sculpture Technology -, l’utilisation de nombreuses enceintes arrangées en ligne et dans une certaine limite, le line array permet d’avoir une décroissance plus faible qu’une source ponctuelle. On parle d’onde cylindrique (c’est le cas du bruit émis par une route très fréquentée par exemple).
Cependant, passé une certaine distance, on retombe sur la règle générale des 6 dB, avec une onde sphérique. Cette distance dépend de la longueur de la ligne et de la fréquence de l’onde, et se calcule selon la formule D ≈ 1.57 × L² / λ
NB : une enceinte de line-array seule se comporte comme un point source, c’est en couplant de nombreuses sources qu’on obtient le principe décrit ci-dessus.
Conclusion
Un système son classique, assimilable en partie au modèle du point source, génère une onde qui décroît en -6 dB par doublement de distance en champ lointain, quelle que soit sa directivité ou sa charge.
Le seul moyen d’obtenir un niveau sonore important à une longue distance d’une source, omnidirectionnelle ou pas, est d’avoir un niveau important à proximité, quelle que soit la charge acoustique utilisée – avec l’exception notoire des systèmes à ligne-source.
En revanche, une enceinte directive permet d’envoyer l’énergie par dessus le public et d’aller toucher des points lointains sans avoir un niveau sonore trop important à proximité de l’enceinte hors de son axe, c’est peut être pour ça que l’on parle de longue portée ; mais cela ne change rien à la loi des 6 dB par doublement de distance.
Pour conclure : le terme enceinte longue portée est un abus de langage qui ne correspond pas à une réalité acoustique, il vaut mieux parler d’enceinte directive ou d’enceinte capable de générer un niveau de pression important, selon le cas qui s’applique.
Pour sonoriser des grands espaces en ayant un niveau homogène, c’est à dire une différence de niveau modérée entre les premiers et les derniers rangs du public en utilisant des enceintes points-sources, plusieurs solutions existent : système accrochés en l’air, utilisation de rappels… ou encore, comme on l’a vu, d’enceintes directives.
Pour en savoir plus sur la directivité et la portée :
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